mardi 21 septembre 2021

Personnages, identification, diversité et reflexion

 Bonjour,
 
Avant toute chose : Comme souvent, mes articles "réflexions" sont écrits à chaud quand l'idée me vient. Il est possible que j'y sois maladroite dans mes propos (n'hésitez pas si je vous heurte d'une manière ou d'une autre à me le dire). Les thèmes abordés ne sont pas simples et traduisent ma manière de les aborder au moment où je les écris.
 
Avertissement : je vais partir sur les personnages racisé·e·s ici, plus particulièrement des personnages noir·e·s, tout simplement parce que c'est en lisant Legendborn que j'ai eu envie de faire cet article. Mais l'idée est la même pour tous personnages qui n'est pas blanc, hétéros et cisgenre. C'est juste pour moi, ici, une manière de ne pas alourdir mon propos (qui est déjà bien lourd je trouve).
 
Ceci est un pavé, je l'ai pas vu venir. Je pensais à la base écrire juste quelques lignes. Je me suis un peu emballée, je crois.
 
Je ne sais pas où j'ai lu/entendu un·e auteurice dire dans les grandes lignes "je ne décris jamais la couleur de peau de mes personnages, comme ça, ça permet à tout le monde de s'identifier". Sur le coup, ça ne m'avait pas plus perturber que ça. Je trouvais même ça plutôt intelligent. On évitait comme ça un écueil et on faisait plaisir à tout le monde. Et puis j'ai grandi. En tant que lectrice, qu'autrice mais surtout qu'être humain. Depuis quelques années, j'ai déconstruit pas mal de chose dans ma vision du monde, je me suis renseignée, j'ai lu, j'ai écouté (beaucoup), j'ai appris et j'apprends toujours. Il s'avère que depuis quelques temps, cette petite phrase a tendance à revenir me hanter et que plus ça va, moins je suis d'accord avec.
 
Ces derniers temps, j'ai lu un certain nombre de livres écrits par des personnes soient racisé·e·s, soient queers. C'est l'avantage de pouvoir lire les romans anglophones. En France, on en trouve beaucoup moins j'ai l'impression, chose que je déplore énormément (ça commence à changer en SFFF mais c'est pas encore ça). Je peux très bien ne pas m'identifier aux personnages, que se soit à cause de leur sexe, de leur orientation ou de leur couleur de peau ou le tout à la fois (oui, c'est arrivé que je n'ai rien en commun du tout avec un perso) et l'aimer énormément.  
Et je comprends beaucoup mieux pourquoi il faut décrire entièrement le personnage pour mieux l'appréhender quand, comme moi, on est blanche et cis hétéro.
 
90% voire plus des personnages que je rencontre sont comme moi.  Ils pensent comme moi, voient le monde de la même manière. Je peux m'identifier sans le moindre problème, encore plus lorsqu'on ne me dit pas de manière claire comment ils sont.
Pourquoi ? 
Parce que je vais les voir comme moi : blanc et cis hétéro afin de pouvoir plus facilement m'y identifier. Et si je vous dis que pour presque tous ces personnages, l'auteurice est blanc·he, j'ai encore plus de chance de les voir de cette manière. Ils auront pris les traits de leur créateurice dans ma tête, et cela de manière souvent inconsciente.
 
Pour moi, le problème est double. Il est  dans la manière dont lae lecteurice voit les personnages, mais aussi dans la façon dont l'auteurice les écrit. Ne pas dire clairement que son personnage est racisé, c'est en faire, pour une grosse majorité des lecteurices un personnage blanc. C'est aussi, malheureusement, une manière de se jouer des lecteurices et de ne pas être honnête avec ielles.
 
C'est quelque chose qui m'a posé problème avec la représentation d'un personnage d'une autrice bien connue (que je ne nommerai pas par conviction mais je ne peux pas passer outre cet exemple) : Hermione Granger. On ne sait pas quelle est la couleur de peau d'Hermione. Si l'autrice nous la donne, c'est surement une seule fois en sept livres et de manière quasi anodine (faudrait que je regarde dans le premier tome à la maison). Beaucoup d'illustrateurice on prit le parti de la faire soit noire, soit métisse (d'ailleurs, il s'agit souvent d'illustrateurice qui ielles-même sont racisé·e·s). Une représentation qui marche tellement auprès des fans que l'Hermione de la pièce de théâtre est jouée par une comédienne noire.
J'aime beaucoup l'idée d'une Hermione noire. Ça colle bien avec son statut de sang-mêlé. Ça aurait offert un bon paquet de possibilité aussi pour le personnage et son histoire. J'aurais adoré qu'elle le soit vraiment dès le départ. 
Ce n'est pas le cas. Ça ne l'a jamais été. 
Une Hermione noire, ça plaisait trop pour ne pas être utilisée. Mais elle a été écrite comme un personnage blanc. Ses préoccupations, son passé, sa manière de pensée sont ceux d'une blanche. Elle ne subit pas la même oppression que si elle avait été noire dès le départ. Surtout, son expérience est basée sur celle de son autrice (et malheureusement, on finit par comprendre que celle-ci a pas mal de soucis avec les minorités) qui n'a pas la moindre idée de ce que peuvent réellement vivre les personnes noires ou métisses (comme moi d’ailleurs, hein).
Du coup, sans jamais nous dire précisément le physique de son personnage (non parce que juste les cheveux ultra bouclés et indisciplinés ne fait pas du personnage quelqu'un de racisé, je vous présente ma blonde de fille, elle correspond parfaitement à la description), elle ne peut n'en faire qu'une personne blanche. 
Et si je parle d'Hermione, c'est pour ne pas parler de Dumbledore ou de Nagisa, qui pour un est devenu gay, pour l'autre une femme asiatique, quelques vingt ans plus tard... 


Je lis Legendborn en ce moment (et c'est une très mais alors très bonne lecture, je vous en parlerai surement dans le prochain journal de bord). La narratrice, Bree est noire, tout comme son autrice. Tracy Deonn nous annonce très rapidement la couleur de son héroïne, histoire que nous n'ayons pas le moindre doute dessus (et elle va, au fils du texte, nous le rappeler par quelques remarques ou descriptions). Bree arrive avec son bagage émotionnel et historique (bagage important dans le roman d'ailleurs qui se passe dans un état du Sud). Le lecteur comprend ce qu'elle ressent parce qu'il sait qu'elle est noire. Si on m'avait dit qu'elle était blanche, ou pire, si on ne m'avait rien dit et que, du coup, je l'aurais vu blanche (à cause de l'identification entre lecteur et personnage), je n'aurais pas compris totalement ses réactions. 
Parce qu'elle est écrite par quelqu'un, qui à l'inverse de moi, a probablement connu des situations similaires et sait de quoi elle parle. Parce que Bree est "forcément" racisée, c'est ainsi que l'autrice voulait son personnage et pas autrement.Et vous savez quoi ? J'adore Bree alors même qu'elle n'est pas comme moi, que je ne pense pas comme elle. Je ne m'identifie pourtant pas à elle mais franchement, je m'en fiche un peu de ça. J'aime Bree parce qu'elle est ce qu'elle est. Pas parce qu'elle pourrait être une énième "moi".

Suis-je en train de dire qu'il faut être racisé pour écrire un personnage qui l'est ? Presque (en fait, ça, c'est un autre débat et je n'ai pas la place pour entrer dedans ici) mais en fait non. 
Je peux très bien en écrire un, des auteurices blanc·hes l'ont fait avant moi et d'autres le feront bien après. Nous n'aurons pas la même vision du personnage, ne lui donnerons probablement pas les mêmes problèmes, iel ne sera pas forcément aussi parfait qu'on le voudrait, mais nous pouvons le faire. J'ai quelques exemples en tête de personnages racisés et/ou queers écris par des non concernés (Olivia dans la Lune est à nous de Cindy Van Wilder, Oxyde chez Rozen Illiano) et qui fonctionnent à merveille.A chaque fois, les auteurices ont prit le temps de les décrire, de donner leur particularité (comme ielles ont pu le faire pour leurs autres personnages) et n'ont pas donné aux lecteurices la possibilité de se faire une autre vision que la leur.

Ces exemples, et plus particulièrement celui d'Hermione, me permettent clairement de dire que ne pas donner la couleur de son personnage, de laisser aux lecteurices le choix de choisir comment ielle le voit est, pour moi, une belle connerie, donc. 

Si on ne sait pas, alors, le personnage seront dans 90% du temps considéré comme blanc. Parce que c'est ce que l'on voit le plus, parce qu'on va vouloir qu'il se rapproche de la norme. On finit par perdre le discours de l'auteurice, l'essence de son personnage. Il est aussi possible qu'ielle-même est fini par le perdre à ne pas vouloir nommer un chat, un chat. 
Pire, on peut en arriver au cas de certain·e·s et annoncer la bouche en cœur que "si si, le perso est queer/racisé/les deux" vingt ans plus tard pour faire style on est inclusif (oui, venant d'une certaine TERF, ça passe très mal, je pense que vous l'avez compris...).

Le vrai problème, ce n'est finalement pas l'identification des lecteurices aux personnages. Nous n'avons pas besoin d'être exactement comme le personnage pour s'identifier à lui. D'ailleurs, je n'en ai pas parlé, mais vous faites comment pour vous identifier à des chats, ou autres personnages animaliers ? Ça gêne pas, on est bien d'accord. 
 
Le gros problème, clairement c'est la représentation de la diversité dans la littérature. Tant qu'on mettra pas plus de diversité, tant qu'on le fera sur la pointe des pieds, parce que attention, ça pourrait choquer ou que sais-je d'autre, on aura toujours des gens pour nous dire que la couleur d'un personnage c'est secondaire. 
Ça ne l'est pas, c'est de la connerie de le penser. En faisant ça, on invisibilise les différences, on rend le monde encore plus blanc qu'il ne l'est. Alors, décrivons nos personnages, arrêtons d’invisibiliser les racisé·e·s, les queers, les handicapés etc... Et rappelons-nous qu'on n'a pas besoin d'avoir un personnage auquel on peut s'identifier facilement pour l'aimer.

PS : Si vous voulez plus de romans avec de la diversité, en français ou en VO, faites un petit tour sur Planète Diversité qui fait un boulot de dingue pour regrouper les romans (par thème, genre etc...)
 
PS 2 : je voulais mettre des couvertures e livres que j'ai déjà lus avec des personnages racisés dessus... Je n'ai eu que celle de Legendborn. Il y aurait bien eu celles de Terremer de Le Guin, mais il s'avère que là, on a un autre problème, son héros est bel et bien racisé, Le Guin le décrit plusieurs fois, mais les illustrateurs l'ont toujours ou presque dessiné blanc... Planete Diversité en parle d'ailleurs dans cet article sur le choix des couvertures françaises. Je crois que je parlerai de ça aussi un jour.
 

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